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LES BAMBOUS.
Ils l’avaient guidé jusqu’ici, parmi les murailles bruissantes et les sentiers de jungle. Comme chaque fois, les arbres lui avaient soufflé la direction à suivre – et lui avaient murmuré comment agir. Cela s’était toujours passé ainsi. Au Cambodge. En Thaïlande. Et maintenant ici, en Malaisie. Les feuilles lui frôlaient le visage, l’appelaient, lui donnaient le signal…
Mais voilà que les arbres se retournaient contre lui.
Voilà qu’ils le prenaient au piège. Il ne savait comment cela s’était passé, mais les bambous s’étaient rapprochés, dressés, matérialisés en une cellule hermétique.
Il tenta de passer ses doigts le long de la porte. Impossible. Il gratta le sol pour écarter les planches. En vain. Il leva les yeux et ne vit, au plafond, que les palmes serrées ensemble. Depuis combien de temps n’avait-il pas respiré ? Une minute ? Deux minutes ?
Une chaleur d’étuve emplissait l’espace. La sueur lui enduisait le visage. Il se concentra sur la cloison : des brins de rotin bouchaient chaque interstice. S’il parvenait à dénouer l’un de ces fils, l’air passerait peut-être. Avec deux doigts, il tenta la manœuvre : rien à faire. Au bout de quelques secondes, il griffa le mur, s’écorcha les ongles. Il frappa la paroi avec rage et se laissa tomber, à genoux. Il allait crever. Lui, le maître de l’apnée, il allait mourir dans cette hutte, par manque d’oxygène.
Alors, il se souvint de la véritable menace. Il lança un regard par-dessus son épaule : les traînées sombres avançaient vers lui ; lentes, lourdes, des coulées de goudron. Le sang. Il allait l’atteindre, le submerger, l’étouffer…
Il se blottit contre la cloison en gémissant. Plus il s’agitait, plus il sentait enfler en lui le besoin de respirer – une faim d’air qui torturait ses poumons, montait dans sa gorge comme une bulle empoisonnée.
Il se recroquevilla et suivit la ligne d’angle du sol, espérant y découvrir une faille. Il avançait ainsi, à quatre pattes, quand il se retourna encore. Le sang n’était plus qu’à quelques centimètres. Il hurla, dos au mur, plantant ses talons dans le plancher, tentant de reculer.
La paroi céda dans son dos. Une grande giclée blanche pénétra dans la cellule, mêlée de paille et de poussière. Des mains l’arrachèrent du sol. Il perçut des cris, des ordres, en langue malaise. Il vit, en contrebas, les palmiers, la plage grise, la mer indigo. Il respira à pleine gorge. Une odeur de poisson flottait dans l’air. Deux noms éclatèrent sous son crâne : Papan, la mer de Chine…
Les mains l’emportèrent alors que des hommes se penchaient sur le seuil de la paillote. Des poings le frappaient, des harpons le blessaient. Il encaissait avec indifférence. Il n’avait qu’une idée : maintenant qu’il était libéré, il voulait la voir.
La source du sang.
L’habitante de la pénombre.
Il tendit son regard en direction de la porte arrachée. Au fond, une jeune femme nue était ligotée sur un pilori de fortune. Des blessures, par dizaines, lui lacéraient le corps – cuisses, bras, torse, visage. On l’avait saignée. On l’avait ouverte afin qu’elle se déverse en flux lents et continus sur le sol.
À cet instant, il comprit la vérité : cette obscénité était son œuvre. À travers les cris, les coups qui l’atteignaient au visage, il admettait la réalité terrifiante.
Il était le meurtrier.
L’auteur du carnage.
Il détourna les yeux. La horde des pêcheurs descendait vers la plage, l’entraînant avec fureur.
À travers ses larmes, il aperçut la corde, oscillant au bout d’une branche.